Une Promo#5 “ancrée”

Comme chaque année, nous avons dressé le “portrait” de la nouvelle promo, à partir d’entretiens approfondis menés au mois de janvier, permettant de qualifier ces 50 feront le social demain : “ancré” est l’adjectif qui les résume le mieux.Pourquoi ? Pour des raisons géographiques, d’abord : si deux de ses membres résident actuellement à Berlin ou au Cambodge, et si la plupart d’entre eux ont déjà visité le monde grâce au programme Erasmus, ils sont une énorme majorité (80%) à se projeter plutôt en France, dans les années qui viennent. “Promo des territoires”, un tiers de ces jeunes vivent et travaillent hors Ile-de-France.

Ils apparaissent ensuite “ancrés” à un tout autre niveau : celui de leur engagement, et de leur rapport au politique. L’an dernier, interrogée sur le moteur de ses engagements, la Promo#4 laissait percevoir qu’il s’agissait avant tout, pour elle, de « réparer une blessure » – quelle que soit sa nature, mais surtout vécue à un niveau personnel. Cette année, les membres de la Promo#5 semblent s’inscrire plutôt dans une fidélité à une histoire familiale : que leurs grands-parents aient été fervents communistes ou chrétiens convaincus, que leurs familles aient ou non fait l’expérience de l’exil, une forme de « mémoire de l’oubli », puisée plus ou moins consciemment auprès de leurs ascendants, les pousse aujourd’hui à adopter un rapport très lucide à l’action politique.

Ainsi, l’immense majorité des membres de cette promo envisage, aujourd’hui ou plus tard, de s’engager en politique ou de devenir des leaders d’opinion – et ce dans divers domaines. Particulièrement lucides, ils se montrent en outre très concernés par la notion de responsabilité. Le “butinage politique” les enthousiasme moins que leurs prédécesseurs et, dans un monde marqué par la crise permanente et le poids politique de l’extrême-droite, ils semblent avoir troqué les envolées utopistes contre une analyse plus froide et réfléchie.

Du dialogue naîtront des entreprises capables de libérer les puissances individuelles

Créé en 2012, le cabinet Ekilibre Conseil est spécialisé dans l’accompagnement sur mesure des enjeux au travail : humains, managériaux et organisationnels. A ce titre, il travaille aussi bien avec des entreprises privées que publiques ou des associations. Entretien avec Jean-Christophe Villette, son Directeur général, qui était présent à la soirée de lancement de la Promo#5 en janvier dernier. 

En plus de dix ans d’activité, quelles tendances avez-vous pu observer dans le monde du travail ?

La santé psychologique au travail n’a jamais été autant dégradée. Les questionnements autour de la notion de sens sont très présents : sens du travail et sens au travail. Selon les sondages, entre un et deux tiers des salariés sont en perte partielle à totale de sens dans le cadre de leur emploi, l’absentéisme est en augmentation, et que dire du présentéisme ? Face à des organisations en peine de générer des équilibres dynamiques promoteurs de santé et d’efficacité de façon plus pérenne, il y a urgence à repositionner l’intérêt de comprendre le travail réel. Quand le travail est abîmé, l’écoute du travail – de celles et ceux qui peuvent en parler le mieux – ne peut être une option. Nombre de difficultés observées dans les organisations ne sont pas nouvelles. En revanche, l’accélération de la fragilisation du lien social, du dialogue depuis le début de la première crise sanitaire et ses effets sur le travail entretiennent un cercle vicieux. Quand l’écart se creuse entre la prescription et la réalisation du travail, quand le travail réel n’est pas mis en discussion, les organisations se mettent en situation de handicap, au détriment de la santé et de la performance.

Si les risques psychosociaux sont effectivement accrus, n’y prête-t-on pas aussi plus d’attention ?

Oui, certainement. La prise en compte d’un tel sujet amène à mettre des mots sur des situations, à donner de la visibilité à ce qui pouvait être invisible. Avant que ne soient pris en compte les Troubles musculosquelettiques (TMS), ils étaient invisibles parmi les conditions de travail.  Il y a donc deux phénomènes qui se croisent : la réalité des situations et leur mesure. Il n’est pas impossible que, dans cette dynamique, il y ait des écarts de justesse : parfois dans la sous-évaluation, parfois dans l’exagération. Cependant, ce qui ne se mesure pas (quantitativement et qualitativement) ne se comprend pas, et ne se transforme pas.

Le sujet de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle est un bon exemple de sujet qui cristallise de plus en plus les préoccupations. Cependant, qu’est-ce que cela signifie ? Ce problème ne peut être réglé par une seule approche juridique ou règlementaire – qui conviendra à certains mais pas à d’autres. Je pense qu’il convient aujourd’hui d’y prêter encore plus d’attention pour en comprendre les enjeux – à la fois pour les personnes et pour les organisations. La peur d’en parler renforcera les mécanismes de protection face au travail. J’encourage à s’y intéresser réellement, à comprendre les mille réalités qui se cachent derrière ce sujet, pour s’autoriser ensuite à redonner de l’espace à la valeur-travail.

Comment sortir de cette impasse ?

C’est un sujet complexe, qui mérite de s’entourer de professionnels avertis, aux compétences éprouvées et non improvisées. Une démarche juste de prévention peut s’appuyer sur le benchmark de ce qui se fait ailleurs – il y a des fondamentaux –, mais c’est obligatoirement du sur-mesure. Dans un monde d’incertitudes, difficile d’espérer aider des individus à faire corps pour travailler ensemble en l’absence d’échanges sur le travail, d’une capacité à se projeter dans des projets ! De l’écoute et du dialogue naîtront ou renaîtront des entreprises capables de libérer les puissances individuelles, de rassembler des acteurs dont les représentations au travail divergent – ce qui mettra aussi en mouvement, dans le cadre d’un projet d’entreprise, la fonction managériale dans sa capacité à articuler travail prescrit et travail réel.

Agriculteurs et Gilets jaunes : 
plus de différences que de ressemblance

Un spectre hante la France : celui des Gilets jaunes. Beaucoup le redoutent, autant l’espèrent, tous croient l’apercevoir. A tel point que la tentation est grande, face à n’importe quel mouvement social, de se raccrocher au tournant de 2018/2019 – au cours duquel le phénomène “Gilets jaunes” a structuré durablement non seulement les soulèvements qui l’ont suivi, mais aussi notre manière de les comprendre. Ce que l’on peut appeler la “gilet-jaunisation” des relations sociales confère à celles-ci un style nouveau, fait de révoltes imprévisibles mais légitimes, d’agitations inorganisées mais d’autant plus puissantes. On a pu la voir à l’œuvre en décembre 2022, lors de la grève des contrôleurs de la SNCF organisée en dehors des organisations syndicales traditionnelles. Plus tard, l’intersyndicale contestant la réforme des retraites, en 2023, a mis pour sa part un point d’honneur à ne surtout pas ressembler aux Gilets jaunes. Ainsi, chaque mouvement social est structuré par celui qui l’a précédé, et se détermine par rapport à lui. Alors, Gilets jaunes et agricultures, même combat ? Rien n’est moins sûr. C’est ce que développe Denis Maillard dans cet article pour Philosophie magazine : de la révolte des ronds-points au siège de la capitale, les différences l’ont largement emporté sur les ressemblances…

Matière à penser #1
 Réarmement démographique : mieux que Tinder, le “CAF Dating”

Le sociologue Julien Darmon, habitué à intervenir devant les promos Social Demain, a publié en novembre dernier, sur le magazine en ligne Télos, un article – mi-sérieux mi-amusant – sur le recul de la fécondité et les moyens d’améliorer le taux actuel de 1,88 enfant par femme. Il y remarque que les familles monoparentales se situent en-dessous de cette moyenne, et les couples stables juste au-dessus – à 1,9 -, mais que les familles recomposées, pour leur part, bondissent à 2,4 – soit le seuil de renouvellement des générations. En effet, écrit-il, « Une sur deux compte des enfants nés du couple actuel. La recomposition permet une augmentation de la réalisation du désir d’enfant. De fait, elle contribue à la fécondité, bien plus directement que des sophistications socio-fiscales générales. » D’où cette idée : faciliter le passage de la monoparentalité à une conjugalité recomposée… en faisant se rencontrer les parents isolés sur le lieu qui leur est dédié : la Caisse d’allocation familiale ! Mieux que Tinder, un “CAF Dating” ! Car, jusqu’à preuve du contraire, c’est en se rencontrant physiquement que l’on a une chance de faire des bébés…

Question : Comment des idées à priori saugrenues sont-elles en réalité révélatrices de transformations possibles ?

Matière à penser #2 
Joue-la comme… le PFC !

Le Paris Football Club, dont le Président Pierre Ferracci est partenaire de Social Demainavec le Groupe Alpha, a décidé d’instaurer « une billetterie gratuite » pour tous ses matchs de Ligue 1 féminine et de Ligue 2 masculine lorsqu’ils sont joués à domicile – à Charléty. Cette décision constitue une première mondiale, sur la base d’une conviction : le stade de foot est non seulement le lieu où se pratique le sport le plus populaire du monde, mais est également l’endroit où l’on partage une émotion commune. Il doit donc être accessible à tous ! Effet sociétal d’égalité, mais effet économique aussi, puisque cela pourrait bien avoir une conséquence sur le prix de tous les autres matchs de même nature… Cet exemple montre que dégripper un système bloqué implique de faire un pas de côté, pour créer un déséquilibre forçant tout le monde à se repositionner. Sinon, comme l’indiquait le psychologue et sociologue Paul Watzlawick, « toujours plus de la même chose donne toujours plus du même résultat. »

Question : Quels déséquilibres féconds peut-on imaginer pour faire bouger le social ?

Conseil de lecture

 Féminicène de Véra Nikolski

Contribution à l’histoire de l’émancipation des femmes, Féminicène de Véra Nikolski (Fayard, 2023) rompt avec l’antienne classique : les femmes seraient puissantes (des « sorcières »), mais entravées par le patriarcat, qui fait d’elles d’éternelles victimes, malgré des libertés conquises demeurant fragiles.

En se fondant sur des travaux anthropologiques, l’autrice estime que c’est d’abord la biologie qui a assigné à chaque genre des rôles sociaux : du fait notamment d’une masse musculaire plus importante, les hommes se sont ainsi vu attribuer les activités de chasse et de défense, quand aux femmes – fragilisées pendant la grossesse ou l’allaitement – sont revenues les tâches de soin. Les idéologies (religieuse ou autre) ont ensuite naturalisé cette division sexuelle du travail. 

Conséquence immédiate : lorsque les conditions se transforment, à partir de la Révolution industrielle du XVIIIème siècle… l’assujettissement millénaire des femmes n’aura besoin “que” de 150 ans pour prendre fin.

Introduisant une critique féministe du féminisme contemporain, cet essai – agréable à lire – prend à rebrousse-poil celles et ceux qui estiment que l’émancipation des femmes doit plus à la mobilisation de ces dernières qu’au progrès social et économique. Il les alerte par ailleurs sur un impensé de leur combat : comment conserver (voire étendre) les libertés acquises par les femmes si, du fait d’un effondrement programmé de la société thermo-industrielle, les conditions qui les ont permises se mettent à évoluer radicalement ?

Brèves

Les promos dans l’actu’

  • Moussa Kebe [promo#5], capitaine des Sapeurs-pompiers professionnels (SPP) et chef du Centre d’incendie et de secours de Gonesse, a été sélectionné pour participer au relais de la flamme olympique l’été prochain. Ainsi, à travers son bras, Social Demain portera la flamme  des Jeux Olympiques et paralympiques ! Voir l’article
  • Le 2 février paraissait L’ère du temps libéré – propositions pour une révolution écologique et culturelle (Edition du Faubourg) , cosigné par Charles Adrianssens et Paul Montjotin [promo#4]. Fin janvier, ce dernier avait répondu, fort de son expérience « d’élu du personnel en entreprise au titre du Printemps écologique », à une interview pour le média Metis, portant sur « les salariés et la transformation écologique de leur entreprise ».
  • Début février, Thomas Xantippe [promo#1] a évolué au sein des Assises du social (AdS) – partenaire de Social Demain -, en prenant ses nouvelles fonctions de vice-Président délégué. Pour le remplacer à son précédent poste de Secrétaire général, ce n’est autre que… Camille Allex [promo#2] qui vient d’être nommé ! Une nouvelle équipe qui met la dernière main à l’organisation de la 4ème édition des Assises du Social, qui aura lieu le 11 juin prochain au Pré Catelan.
  • Dans le journal Libération, le 9 février, paraissait une interview croisée de Noël Mamère (75 ans) et Achraf Manar [promo#5] (26 ans), sous le titre : « Il faut que celles et ceux qui subissent les crises soient au cœur des prises de décision. » Ils y sont présentés comme les membres de « deux générations qui font front commun pour une écologie de la dignité, incluant les banlieues et la ruralité. »

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